We Are What We Are: à table avec les Mormons!
Réalisateur: Jim Mickle
Acteurs: Bill Sage, Ambyr Childers, Julia Garner, Jack Gore, Michael Parks, Wyatt Russell, Kelly McGillis, Odeya Rush…
Genre: Épouvante-horreur , Thriller
Nationalité: Américain
Date de sortie: Prochainement, en Avant-première à l’étrange festival le 8 et 10 Septembre.
Festivals: Présent à la Quinzaine des Réalisateurs de Cannes 2013 , au Sundance Festival 2013, Festival du Cinéma Américain de Deauville 2013, l’Etrange Festival ….
Synopsis:
Les Parker sont connus dans le village pour leur grande discrétion. Derrière les portes closes de leur maison, le patriarche, Franck, dirige sa famille avec rigueur et fermeté. Après le décès brutal de leur mère, Iris et Rose, les deux adolescentes Parker, vont devoir s’occuper de leur jeune frère Rory. Elles se retrouvent avec de nouvelles responsabilités et n’ont d’autre choix que de s’y soumettre, sous l’autorité écrasante de leur père, déterminé à perpétuer une coutume ancestrale à tout prix.
Une tempête torrentielle s’abat sur la région, les fleuves débordent. Les autorités locales commencent à découvrir des indices qui les rapprochent du terrible secret des Parker…
Critique:
Ce film présenté au festival de Deauville a suscité de vives réactions quant à sa fin. Le Public se partageait entre les rires, la déception, la moquerie, les sifflements ou encore l’admiration. Certains journaux ont alors rapporté la phrase d’un des spectateurs criant : « Dehors le réalisateur ! »
Cette séance à l’Etrange Festival est présentée par la productrice du film et du réalisateur Jim Mickle. Lorsque celui-ci prend la parole, il évoque le film original mexicain « Ne nous jugez pas» de Jorge Michel Gruau et insiste pour nous signifier qu’il ne s’agit pas là d’un remake ou d’une simple transposition ! Jim Mickle considère son film comme lié et en continuité à « Ne nous jugez pas », formant ainsi une même œuvre commune.
Il avoue ensuite, avec un sourire en coin, être curieux de découvrir notre réaction face au film !
On ne peut pas ignorer la perception du public face aux films de genre et cette projection est encore là pour nous le rappeler. En effet, est-ce qu’un public habitué ou éduqué au genre peut-il apprécier ou assumer davantage un film aussi singulier ? Il semblerait que oui ! Les codes du film de genre sont alors endossés. Le spectateur lambda ne semble pas familiarisé face à la violence crue. Il est donc assez normal de percevoir des réactions telles que l’incompréhension, la moquerie, la peur, la déception, ou le choc…
Ce qui est certain, c’est la réaction du public averti de ce soir : plus de sérieux, certains crient au spectaculaire ou au génie, d’autres à une caricature assumée avec une violence assumée à l’image !
Pour ma part, après avoir écrit une critique sur la série Hannibal, je me dis que cette séance risque fortement d’être intéressante. Et cela se confirme, cette histoire de cannibalisme relève plus du ragout traditionnel que du culinaire trois étoile ! Ce n’est pas dépourvu de charme pour autant.
Le film se déroule dans un contexte de tempête et d’inondation. Un contexte qui n’est pas sans rappeler« Take Shelter » de Jeff Nichols, bien que celui-ci se révèle moins prenant et spectaculaire de ce point de vue-là.We Are What We Are suit le quotidien d’une famille mormon (l’action se déroule sur trois jour : du vendredi au dimanche ; en rapport avec la religion des personnages qui à la fin de leur jeûne doivent se nourrir de l’agneau du seigneur) suite au décès de la mère.
Un film esthétique avec quelques plans fragilisés par une caméra tremblante mais qui s’oublient et se pardonnent très facilement. De beaux travellings optiques (changements de mise au point entre l’arrière et le premier plan) sur des plans de nature avec un étalonnage parfois feutré, un résultat proche de la photographie. Le décor et les costumes sont maitrisés et témoignent d’une société singulière, d’une vie déconnectée à ce que nous connaissons personnellement. Tellement déconnectée que le village lui-même où se déroule l’action se retrouve coupé du monde à cause de cette fameuse tempête.
Bref pas grand-chose à reprocher !
Ce qui vient de mère nature, retournera à mère nature par la violence. Les nombreux plans de l’eau et du torrent resteront présent tout au long du film afin de justifier ce jugement.
La découverte d’os humains mène à l’arbre et à la crique familiale où la mère était chargée de cacher les restes. L’arbre est symbolique par rapport à la religion décrite par le personnage du père taciturne. Un arbre nourricier béni des dieux !
Je voudrais noter un passage intéressant : Le personnage du petit garçon, interpellé par les pleurs d’un « monstre » (c’est ainsi que la famille lui décrit la victime pour repousser sa curiosité) va dans la cave où le repas familial est enfermé et regarde à travers le pas de la porte. Moment de sursaut intéressant puisqu’il s’agit du seul instant de frisson où pour une fois on se retrouve à avoir peur de la victime (tout comme le garçon, il s’agit d’un jeu avec la vue subjective). Une peur alimentée par le bourrage de crâne religieux et de l’éducation donné à l’enfant.
Dans ce film le cannibalisme devient presque autant contextuel que la tempête qui fait rage, instaurant ainsi une atmosphère dérangeante et sous tension. La preuve en est que les scènes de repas de famille sont solennelles et la viande se retrouve masquée, réduite en bouillie, presque imperceptible et non magnifiée. Cela traduit ainsi le mal-être des personnages principaux (les deux jeunes filles de la famille) face à cette idée de manger l’autre.
Je remarque également un manque d’identification des spectateurs, juste témoin de la vie singulière de cette famille qui va s’auto-dégénérer sous nos yeux. On sait grâce à des interviews que le réalisateur voulait faire un film sur une famille mormon comme il en existe tant aux Etats-Unis. Ce sujet permet de traiter le thème de la religion et de son éducation, du danger exposé à une foi mystique et extrémiste. Il est clair que le film se retrouve empreint de l’opinion du réalisateur sans pour autant s’immerger réellement à la vie mormone : en gros We Are What We Are ou comment diaboliser les religieux ! N’y allé pas si vous êtes pieux ! Car le film va émettre une position quant à la manipulation de l’esprit humain par la religion, les conséquences engendrées dans la construction à l’âge adulte et jusqu’où se situe la perversion dans la dévotion.
Ainsi conformément à leur religion, les deux jeunes femmes qui remplacent la figure maternelle disparue depuis peu, doivent se soumettre à un rituel pour nourrir la famille. En perpétuelle remise en question de la tradition familiale, elles subissent également la présence de leur père qui les renvoi constamment à leurs mœurs différentes.
Et cette dualité entre homme/femme sera constante. Les féministes se réjouiront de voir une telle position adoptée. Qu’ils s’agissent de l’histoire de nos deux protagonistes ou encore de l’origine de cette famille, les femmes adoptent une position forte et déterminante jusqu’à obtenir leur libération par la domination. On en vient donc à cette fameuse fin si choquante pour certains !
Attention Spoil ! Le père angoisse à l’idée que la famille soit menacée par les révélations des os trouvés. Les jeunes filles obligées à tuer une femme pour la manger, n’ont pas l’air d’apprécier le repas essentiellement basée sur de la chair féminine. Toute cette tension où chaque détail de l’histoire se regroupe va finir par exploser !
Et c’est là que la scène vire au cauchemar, ainsi on assiste à une fin plutôt couillu et pleine de sauvagerie qui permet de mettre en image ce fameux titre : We Are What We Are ! (fin spoil)
Pour conclure : c’est donc un film esthétiquement accompli qui nous est donné de voir. Il surfe avec conviction sur la question de la religion. We Are What We Are est un petit bijou sensationnel qui bouscule les idéaux et tout cela en assumant une violence humaine de plein fouet ! Avec un scénario construit et réfléchi bourré de métaphores ou de symbolismes, on ne pourra pas dire que le réalisateur a bêtement copié l’original ! Pour cette fin audacieuse et ce projet très réussi, on lui tire notre chapeau et on lui dit à très bientôt !
Sadako
8/10