Au coeur de l'horreur

Interview D’Arthur Môlard, Réalisateur De L’excellent Court-Métrage « Jiminy »

Après avoir posté le court-métrage Jiminy d’Arthur Môlard sur le site, nous avons eu l’occasion de nous entretenir avec le réalisateur pour vous offrir cette interview. Jiminy est un film passionnant et son réalisateur l’est tout autant. On vous conseille de prendre le temps de regarder le film avant de lire cet article.

Krueger : Le scénario et surtout l’idée de base de Jiminy sont extrêmement intéressants, comment t’es venu cette idée ?

Arthur : L’idée à la base est née après la lecture d’un livre du philosophe Slovène Slavoj Žižek. Dans le livre, il décrit le compte-rendu d’une expérience qui a réellement eu lieu aux Etats-Unis et qu’on voit sur le carton au début du film. En mai 2002, des scientifiques de l’université de New York ont fixé une puce électronique sur le cerveau d’un rat et contrôlaient les mouvements du rat à distance. Quand j’ai appris cette expérience, j’ai eu un petit sentiment de vertige et je me suis dit : ah ouais… Ils ont quand même franchi un truc là ! Et le philosophe Slavoj Žižek, dans son livre, se posait la question de savoir si le rat, quand on lui demandait de tourner à gauche ou à droite, avait conscience d’être contrôlé. Je trouvais cette question très intéressante, surtout sur ce que ça implique sur notre libre arbitre. Donc naturellement, je me suis tout de suite imaginé ce que ça ferait sur nous autres êtres humains d’être dirigés par une puce électronique. À partir de là, j’ai approché mon coscénariste, Teddy Jacquier, qui était dans mon école de cinéma 3is en promo scénario (moi, j’étais en réalisation) et on a essayé de développer un univers à partir de cette idée où tout le monde aurait cette puce dans le crâne et qui serait un peu l’équivalent de tous les smartphones d’aujourd’hui. On a donc réfléchi aux conséquences sur notre société, sur les relations sociales, etc. On voulait surtout rester dans un système démocratique et ne pas partir sur un trip totalitaire où les gens sont contrôlés. C’était important que ce soit juste un objet de consommation et de décrire le rapport que les gens entretiennent avec la technologie.

Krueger : C’est justement la question sur laquelle je voulais enchaîner par rapport à notre relation avec la technologie. Tu parlais des smartphones où l’on constate une forme de dépendance, est-ce que tu penses qu’un jour, on pourrait en arriver à une telle situation ou les gens seraient dirigés par un criquet ?

Arthur : Alors par rapport à la dépendance, c’est déjà assez présent dans notre technologie. J’ai entendu parler d’un exemple où on s’est rendu compte qu’un type était addict à ses Google glass, et même sans les porter, il continuait à reproduire le geste sur le côté pour appuyer dessus, ça m’a fait rire ! Mais après je pense que les addictions aux smartphones ne sont pas encore traitées comme tel, mais il doit y en avoir énormément, et même sur chacun de nous, à un degré plus ou moins fort. Tout le monde est addict à son smartphone.

Krueger : Mais justement, ce qui est intéressant dans ton film, c’est le fait d’être totalement dirigé par la technologie. Tu en parles dans la page kisskiss, dans la plupart des films, ce sont souvent les robots qui cherchent à devenir humain et dans Jiminy, c’est totalement le contraire, ce sont les êtres humains qui tendent à devenir des automates. Donc est-ce que tu penses qu’un jour, on pourra en venir à être totalement dirigé par nos technologies ?

Arthur : À vrai dire, je pense que c’est déjà le cas. Et je ne dis pas ça forcement par rapport à ce que je constate autour de moi, mais même personnellement, je sens cette inclinaison à vouloir se délaisser de ce libre arbitre, avoir envie de sous-traiter nos décisions au quotidien et de se laisser porter. Moi, j’ai tendance à être facilement addict à ce genre de chose et je pense que c’est quelque chose vers laquelle l’humanité va tendre assez naturellement parce que le libre arbitre est un fardeau au quotidien et qu’on a tous envie d’aller vers la facilité. Si un jour, on nous offre les moyens de se libérer de ce fardeau, je pense que tout le monde sauterait dessus. Vu que la technologie aujourd’hui nous offre de plus en plus ces moyens, c’est une voie inévitable. Ce qui est dommage, c’est qu’on oublie que la dignité de l’être humain repose sur le fait d’affronter ce fardeau et d’être maître de ses propres décisions.

Krueger : C’est exactement ce qui se dégage de Jiminy et c’est très réussi. Pour parler un peu du tournage en lui-même, et de sa conception, je voulais savoir comment tu as réussi à réaliser un film de genre avec ton école de cinéma ? Comment tu as vendu ton projet ? Je te demande ça, car j’ai moi-même fais une école de cinéma et je ne te cache pas que l’ensemble des intervenants étaient très réticents à l’idée de faire un film de genre. 

Arthur : Ça doit dépendre des écoles, car à 3is on a eu aucun souci avec ça. On n’a pas eu à se défendre de vouloir faire un film de science-fiction, on nous a juste prévenus de ne pas partir trop loin sur des univers qui seraient impossibles à réaliser et de faire en sorte que notre film soit compatible avec notre budget. Vraiment aucune résistance au genre, c’est une école que j’aime et qui offre beaucoup de liberté à ses étudiants. Mais c’est vrai que j’ai souvent eu écho de ce genre de problèmes dans d’autres écoles. Celle-ci est très souple. Par exemple, on tournait avec la caméra en red mx et on avait besoin de faire des reshots au 5d pour retourner des scènes malgré la fin de notre tournage. Je sais que c’est souvent interdit dans les écoles, car les étudiants sont fliqués et doivent respecter le nombre de jours définis pour le tournage. L’école 3is ferme les yeux sur ce genre de choses. On a les mêmes règles, mais on nous amène à les transgresser, car au final, le but est de faire le meilleur court métrage possible. Pour ce qui est de l’interdiction de faire du genre dans les écoles de cinéma, je pense qu’elle doit surtout porter sur l’horreur, un peu moins sur la science-fiction, non ?

Krueger : Oui c’est vrai qu’on a surtout été confrontés à ce problème avec les films d’horreur. La science-fiction était déjà plus acceptée.

Arthur : Oui, elle est soit-disant « plus noble ». Faire de l’horreur est peut-être difficile à assumer pour l’image de l’école… Je sais qu’il y a un festival généraliste ou il y a une personne qui m’a posé comme question : est-ce que ça ne vous énerve pas quand on vous dit que Jiminy est un film de genre et un film de science-fiction? Voilà le genre de question à laquelle on est confronté parfois (rire). Donc évidemment que c’est un film de genre et de science-fiction, rien de dénigrant la dedans. Dommage qu’en France, il y ait encore une résistance face au genre, il faut se rendre compte à quel point le genre permet d’aborder tous les sujets de manière intéressante et subtile, parfois même plus qu’un « film d’auteur ».

Krueger : Alors justement vu que tu parles des festivals, Jiminy a été de nombreuses fois sélectionné en festival et a cartonné. On avait eu l’occasion nous-même de le découvrir au PIFFF où il a raflé tous les prix. Comment tu as vécu ce succès, surtout pour un premier film, c’est plutôt la classe ?

Arthur : Oui le PIFFF a été l’un des premiers festivals où on a été sélectionné. Rien que le fait d’être sélectionné pour notre premier film, c’était déjà génial, mais alors quand on a vu qu’on commençait à gagner des prix alors là, c’était encore plus que génial ! Le film a une carrière inespérée en festival.

Krueger : Ça doit être euphorique comme moment, comment on envisage la suite après ça ? Est-ce que ça t’a ouvert des portes pour d’autres projets ?

Arthur : Oui enfin, on n’a pas gagné la Palme d’or non plus (rire). On sait qu’on a encore tout à prouver et on y va très humblement dans les festivals, car on a conscience que notre film a également beaucoup de défauts. C’est super d’avoir une visibilité et c’est l’avantage des festivals, pour avoir des retours des spectateurs. Effectivement, ça ouvre des portes. Déjà, ça permet de faire plein de rencontres humaines, avec des producteurs, des compositeurs, d’autres réalisateurs, etc. C’est vraiment super ! Notamment à Clermont où il y a plein de monde. On a été approchés par des producteurs de court métrages, de long métrages aussi, c’est toujours intéressant pour les prochains projets. Depuis 2 ans, ce qu’on a essayé de faire avec mon coscénariste, c’est de développer Jiminy en série télé. Le court métrage nous sert de carte de visite pour montrer qu’on pouvait faire de la SF crédible et à petit budget. Je pense que le concept est suffisamment riche pour l’étirer sur une série télé. On a été en parler avec différents producteurs français. Je pense que c’était peut-être un peu trop ambitieux au vu du paysage audiovisuel français, qui change tout de même, mais lentement, et au vu de notre expérience. On est encore très jeunes ce qui ne rassure pas forcement les diffuseurs. En ce moment, on commence à se rabattre sur un long métrage avec l’univers de Jiminy.

Krueger : Effectivement, Jiminy pourrait largement faire office de série télévisée. Il y a pas mal d’intrigues secondaires possibles. Ne serait-ce que la perte de repères que l’on aperçoit rapidement chez cette dame dans la scène de la cantine, incapable de choisir son plat…

Arthur : C’est sûr qu’on avait énormément d’idées au moment d’écrire le scénario et on devait les mettre de côté pour respecter ce format de 20 mn du court métrage. Quand on a vu le succès du film en festival, on était vraiment motivés pour faire une série télé. Avec toutes les idées qu’on a sur l’univers, on pourrait aisément faire 3 saisons. Du coup on est en train de retailler parmi toutes nos idées. Je considère que dans le court métrage, on a exploré que 10% du concept.

Krueger : Comment s’est passé le tournage, en combien temps avez-vous tourné le film et comment as-tu réussi a avoir Denis Lavant ?

Arthur : Le tournage s’est réellement bien passé ! Chaque tournage rencontre son lot de difficultés, on n’y échappe pas, mais pour Jiminy elles étaient minimes. D’autant plus que toute l’équipe était à 200% sur le projet. Pour Denis Lavant, déjà je suis un fan absolu de son travail, autant au théâtre qu’au cinéma. Notamment dans Holy Motors c’est assez étourdissant ce qu’il fait ! Je savais que c’était quelqu’un qui n’hésitait pas du tout à participer à des courts métrages un peu fauchés, j’avais même déjà eu l’occasion de participer à un petit court métrage avec lui. Du coup je savais que c’était quelqu’un d’abordable, de très humain et surtout de passionné, ce qui lui permet de s’investir dans les personnages qui l’intéresse, que le projet soit payé ou non. Quand on a commencé à écrire le rôle du schizophrène dans Jiminy, je l’avais en tête immédiatement mais je n’étais pas sûr qu’il accepte. J’ai récupéré son adresse postale et je lui ai envoyé le scénario avec une lettre pour lui expliquer pourquoi je le souhaitais dans tel rôle. Deux semaines plus tard, il m’a envoyé un sms pour me dire que ça l’intéressait. C’était une nouvelle incroyable ! Et vu qu’humainement il est adorable, le tournage s’est super bien passé à ses côtés. Pour la direction, c’est génial, tu n’as pas grand chose à faire, il suffit de lui dire un mot ou deux et il te propose des super trucs différents à chaque prise. C’est génial à la fois au tournage et au montage, car tu as énormément de choix. Et c’est comme ça que ça devrait se passer à chaque fois, ne pas à avoir à réparer les problèmes au montage mais à avoir le choix ! Là, il y en avait tellement que c’était parfois dure de choisir.

Krueger : Et pour les autres acteurs ?

Arthur : Alors là c’est plus délicat car il faut poster des annonces. En autre sur le site cineaste.org. On reçoit une multitude de réponses et malheureusement on n’a pas le temps de rencontrer tout le monde. J’ai fini par leur demander de m’envoyer des vidéos et c’est comme ça que j’ai trouvé le comédien principal, Benjamin Brenière, alors que je commençais à désespérer car je ne trouvais pas de comédien qui correspondait à ma vision du personnage. Recevoir la vidéo de Benjamin m’a fait beaucoup de bien et m’a rassuré. Il était à la fois super physiquement car il dégage quelque chose de froid, presque condescendant parfois, alors qu’en vrai il est vraiment adorable, et dans son jeu il était très juste, directement dans le personnage, c’était parfait.

Krueger : Dans Jiminy, on constate une forte présence de l’eau. Qu’est-ce que sa présence signifie dans le scénario ?

Arthur : Selon-vous ?

Krueger : Mon avis c’est que l’apparition de l’eau sous sa forme naturelle, comme la pluie, intervient quand le personnage n’a plus son criquet. Ça serait un retour à la réalité. Alors que le reste du temps, l’eau est souvent utilisée pour manipuler le criquet, que ce soit dans la baignoire où la fontaine. Tout est une question de contrôle de cette ressource qu’est l’eau. C’est une interprétation qui est peut-être très loin de ce qui était recherché ?

Arthur : Je ne sais pas si c’est la bonne mais j’ai un peu la même interprétation ! On voulait trouver des images un peu fortes, qui même si elles ne sont pas évidentes, reviennent de façon récurrente et obsédante et permettent de décrire le personnage malgré la courte durée du film. L’eau sert déjà à faire plusieurs baptêmes dans le film, celui de Denis Lavant dans la fontaine par exemple. Ce qui permettait de poser le personnage de Nathanaël, le héros, en figure de Saint Jean Baptiste en quelque sorte. Ce personnage serait comme le prêtre de cette nouvelle religion, qui a foi en cette technologie là et qui essaie de convertir les gens. De même pour la scène dans la baignoire avec l’autiste. Du coup il baptise les gens plus ou moins contre leur gré. L’eau permettait de retrouver ce symbole. Et comme tu dis, il y a une source plus ou moins artificielle de l’eau qui renvoie au rapport un peu factice à la réalité via le criquet. Et à la fin, quand le héros se fait arracher son criquet, effectivement il se retrouve sous la pluie, c’est un retour à la réalité. Je pense que c’était un peu le sens qu’on voulait donner.

Krueger : Est-ce que tu as des références particulières dont tu t’es inspiré et qui t’ont permis d’imaginer l’univers de Jiminy ?

Arthur : Oui bien sûr, il y a des références, il faut les assumer. Les quatre films que j’ai montrés à mon équipe avant le tournage c’était A.I de Spielberg, pour le gamin robot. Surtout les 45 premières minutes, j’ai un peu plus de mal avec la fin mais j’adore ce film. L’autre référence c’était un autre de Spielberg, Minority Report, que j’adore aussi et dont je ne me lasserai jamais. En particulier les 15 premières minutes, où Tom Cruise manipule les images, c’était notre influence pour le moment où Nathanaël manipule ses élastiques. En manipulant les élastiques, il manipule le corps des gens. Un côté à la fois marionnettiste et chef d’orchestre. La troisième référence c’était Bienvenue à Gattaca. Il y a une vraie économie de moyens dans le film et ils ont réussi à créer une image du futur à partir de petits détails. Pour les voitures notamment, ils ont juste changé le son. C’est quelque chose sur lequel on a pas mal travaillé aussi avec l’ingé son. Il y a également un côté un peu clinique intéressant dans le film. Et la quatrième référence c’était Les Fils de l’homme d’Alfonso Cuarón, un de mes films préférés. J’adore l’usage qu’ils font de la courte focale. C’est le futur le plus proche qu’on ait vu au cinéma, un futur comme un prolongement du présent. Quand tu regardes les personnages tu peux facilement imaginer que la génération qui a 15 ans aujourd’hui, ils deviendront comme  les personnages du film à 30 / 40 ans. Il y a un côté très familier et plein de petits détails d’anticipation. La direction artistique du film est très subtile.

Krueger : Merci beaucoup Arthur. Du coup on a hâte de voir ce que peux donner Jiminy en long métrage. On se doute que cela va prendre du temps, peut-être d’autres projets de court métrages entre temps ?

Arthur : Alors des projets j’en ai énormément ! T’es obligé d’avoir au moins 5 ou 6 projets si tu veux qu’il y en ait au moins un qui aboutisse. J’en suis qu’a l’étape d’écriture pour le moment. J’essaie de faire un autre court métrage mais j’ai un peu de mal car naturellement l’idée grossit et devient rapidement du long. J’ai du mal à m’astreindre à la forme courte. C’est pas facile, je sais qu’il ne faut surtout pas brûler les étapes et qu’il faut faire plusieurs courts avant de passer au long.

Krueger : Toujours dans la science-fiction ?

Arthur : Plutôt dans le fantastique, dans le sens large du terme. C’est un genre que j’affectionne et qui me paraît approprié pour décrire notre réalité à travers des univers un peu monstrueux. Un peu comme l’idée d’utiliser un miroir déformant. Je fais rentrer la science fiction là-dedans.

Krueger : Merci Arthur de nous avoir accordé cette interview. Bon courage pour les futurs projets et à bientôt j’espère !

Arthur : Merci à vous et vive Au cœur de l’horreur !

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