The Comb faisait partie de l’Anthologie des Frères Quay proposée par l’Étrange Festival. Vous pouvez découvrir le court-métrage ci-dessous :
Nous continuons d’expérimenter un genre de films qu’il serait habituellement impossible de voir en salles. Les frères Quay sont des jumeaux identiques. Nés aux Etats-Unis, ils ont étudié au Philadelphia College of Art avant de s’exiler en Angleterre pour s’inscrire au Royal College of Art de Londres. Dans leur premier cursus, ils découvrent Bunuel, Dreyer, Tarkovski et Svankmajer. C’est à partir de là qu’ils décident de créer leurs propres films. Ils vont ainsi se spécialiser dans le court-métrage d’animation et réaliser par la suite un parcours artistique riche, fait de rencontres et nourrit d’une culture singulière. Ils commencent à réaliser des petits films d’animation pour la BBC, puis fondent leur propre société de production. En plus de publicités et de clips, ils signent Institut Benjamenta et L’Accordeur de tremblements de terre, deux somptueux longs-métrages qui ont durablement marqué Terry Gilliam (il a d’ailleurs produit leur second film).
L’Anthologie des Frères Quay regroupe plusieurs de leurs courts-métrages. Elle est composée de la tétralogie Stille Nacht, The Comb, La Rue des Crocodiles, Répétitions pour des anatomies défuntes, Le Peigne et In Absentia. Très expérimentaux, ces films sont une véritable occasion de découvrir des œuvres à part. Je salue particulièrement l’Étrange Festival pour son audace. Cependant, j’avoue qu’il est parfois difficile de tenir plus d’une heure face à ce genre de programmation. Une séance qui met à mal la patience et la sensibilité du spectateur. Bien que j’affectionne personnellement ce genre de film, il est souvent difficile de se concentrer lorsque vous êtes assis à côté de spectateur récalcitrant et dont le souffle ne cesse de vous ramener à votre état de Regardant. C’est donc un constat, partager des univers expérimentaux : oh que oui ! Et j’encourage cette volonté de partager des univers bien différents de nos habitudes.
Les frères Quay développent leur propre langage et s’expriment à l’aide de leurs marionnettes misent en scène dans leur cabinet de curiosité. Ils libèrent ainsi une poésie fragile, pleine de vanités. Il se dégage une atmosphère étrange et sombre. Le montage rythme les images avec frénésie. Les gestes et les images se répètent sans cesse, comme bercées par un morceau de Stravinsky résonnant à nos oreilles. Les personnages et les images vibrent. Les personnages et les images vivent.
L’univers des Frères Quay est fait de mysticisme, de mélancolie, d’angoisse et de lyrisme. Ils traduisent un monde aussi fascinant qu’inquiétant. Les vieilles choses, les vieux objets, le bric et broc un peu rouillé côtoient la poussière et la blancheur aériennes des graines de pissenlit blanc. Ainsi, des jeux de matières révèlent parfois des émotions enfouies en chacun de nous. Par exemple : je fus surprise de la répulsion de la salle face à une scène dans La Rue des Crocodiles. Le spectateur a désormais adopté l’univers sombre du film et lorsqu’un steak rouge sang apparaît dans l’atelier des poupées, cela effectue un contraste si fort de la chair à la rouille, qu’un violent dégout vient perturber la poésie ambiante. Dans In Abstentia, des jeux d’ombres et de lumière viennent bousculer nos repères et révèlent un monde presque sorti d’une science-fiction dont on ne soupçonnait pas l’existence.
On s’éprend du travail des frères Quay tout comme on en frissonne. Son esthétisme particulier nous bouleverse. Le plus étonnant est que dans cet univers minutieux, ils sont capables d’une mise en scène hors du commun. Nul doute que leur travail ne peut laisser indifférent. Il est d’autant plus intéressant qu’il n’est pas le fruit du hasard. Chacun des films évoque une réflexion personnelle et profonde. Ils rendent parfois hommage à une culture qui leur sert de référence. Dans Répétitions pour des Anatomies Défuntes, le duo renvoie au tableau Le Verrou de Fragonnard. La Rue des Crocodiles est une adaptation d’un roman de Bruno Schultz, etc.
L’univers des Brothers Quay a quelque chose de sensorielle. Le spectateur fait réellement l’expérience du court-métrage. On est transporté dans un monde de rêverie cauchemardesque où règne le clair-obscur. Je vais m’efforcer de m’arrêter là. Car on pourrait parler des heures ou même établir une thèse sur le travail des Frères Quay et leurs références multiples. Personnellement, il m’est impossible de noter ces œuvres tant elles deviennent abstraites. Elles pourraient se voir aussi bien au Musée qu’au Ciné et témoignent d’une frontière abolie entre les arts.