Synopsis : Alors qu’ils doivent interpréter au théâtre Le Fantôme de Yotsuya, les amants Kosuke et Miyuki commencent à confondre la réalité, leurs rêves et la pièce qu’ils jouent, tandis que les meurtres se multiplient en coulisse. (etrangefestival.com)
Critique :
Takashi Miike, réalisateur hautement prolifique qui a longtemps été cantonné aux direct-to-dvd, revient avec un film à costumes en adaptant une pièce traditionnelle du théâtre kabuki, datant du XIXe siècle, Yotsuya Kaidan. Si Takashi Miike a souvent mis en scène des yakuzas contemporains (Gozu, Icki The Killer, la trilogie Dead or Alive…), il a cependant souvent témoigné d’un vif intérêt pour les films historiques, avec notamment les récents Hara-Kiri et 13 Assassins, ou encore avec son épisode de la saison 2 de Masters of horror, qui avait été considéré comme le plus violent et le plus dérangeant de l’anthologie (qui est peut-être d’ailleurs la filiation la plus directe avec Over Your Your Dead Body).
Over your dead body s’inscrit dans la continuité visuelle des derniers films du réalisateur japonais, esthétiquement plus soignés que la plupart de ses premières productions (ce contraste est particulièrement saisissant lorsque l’on compare des films tels qu’Hara-Kiri à la débauche d’effets visuels numériques sanglants d’Ichi the Killer). Si on a pu reprocher à de grands noms du cinéma d’horreur de s’assagir avec le temps (les derniers films de John Carpenter par exemple, mais surtout ceux de David Cronenberg, qui se tournent désormais vers un cinéma plus classique, « prestigieux » et « légitime »), tel n’est pas le cas de Takashi Miike, qui continue de faire preuve de créativité visuelle et d’audace, tout en préservant son ton déjanté (qui n’est pas systématique) et gore qui avait fait sa renommée. Un tel reproche serait d’autant plus inadapté dans le cas de Takashi Miike que le réalisateur nous avait déjà offert par le passé des films de facture classique, comme La mort en ligne, sorti en pleine effervescence des films de fantômes japonais. Over your dead body est ainsi à rapprocher d’Audition par sa narration lente et l’économie des effets gores, qui n’apparaissent que tard dans le film, à la suite d’une lente montée en tension.
Le film reprend les ingrédients traditionnels du film de fantôme japonais. Les premiers plans s’attardent sur des éléments en apparence banals (des goûtes d’eau sur de la tôle, le vent dans les arbres) qui indiquent une présence (indéfinissable et non identifiable) et instaurent une atmosphère inquiétante. Ce procédé trouve son apogée dans la scène où la protagoniste, l’actrice Miyuki, recouvre entièrement son appartement de plastiques et de bâches (non ce n’est pas Dexter Morgan qui prépare sa scène de crime). Les courants d’air font flotter cette matière mouvante comme si une présence invisible se cachait dans chaque recoin de l’appartement. Mais que les fans de Takashi Miike se rassurent, Over your dead body ne se contente pas des effets suggestifs de Ring ou Dark Water, mais gratifie également le spectateur d’effets gores réussis. C’est l’une des grandes forces de Takashii Miike, qui alterne habilement deux registres de l’horreur que l’on oppose souvent à tort : celui de la suggestion et de la monstration.
Le principal intérêt du film réside dans les scènes théâtrales aux décors magnifiques qui immergent le spectateur dans ce Japon médiéval. A travers cette pièce, Over your dead body exploite un thème récurrent du cinéma fantastique, celui des rapports entre la fiction et le réel. Le réalisateur japonais imbrique habilement les deux mondes et brouille progressivement les repères en instaurant des influences réciproques qui finissent par désorienter le téléspectateur. Le soin apporté aux accessoires du décor théâtral confère une ambiance naturaliste (présence de feuilles, d’un ruisseau), un réalisme qui introduit une première ambiguïté et une perméabilité entre les deux mondes. On sent dès le début que la frontière est ténue entre l’univers de la fiction théâtrale et celle des coulisses. Seule la présence en fond de l’équipe technique signale la rupture. Une présence qui s’estompera au cours du film, si bien que l’on finit par croire que l’on assiste réellement à un film d’époque. Cette perméabilité est, en premier lieu, signifiée subtilement par la réalisation, lorsque le son hors-champ du bébé de la pièce de théâtre anticipe l’image, comme si la fiction s’invitait dans la réalité. Ce procédé est renforcé par les répliques des acteurs, reproduites dans leur quotidien. Mais la réalité n’apparaît pas comme le seul reflet de la fiction, le réalisateur japonais s’évertuant à brouiller les pistes. Certains événements se produisent avant dans la pièce, mais d’autres, en revanche, anticipent les scènes théâtrales à venir.
Que ce soit dans le réel ou la fiction, le déroulé des événements semble implacable. Takashi Miike exploite la figure du cercle et de la spirale pour symboliser et intensifier l’impasse dans laquelle se trouvent les personnages. Les décors du théâtre s’enchaînent dans un mouvement rotatif qui s’emble emprisonner les acteurs dans la fiction, les empêchant d’en sortir. Cette sensation est renforcée par la disparition progressive des coulisses à l’écran, qui marquaient jusqu’alors la frontière entre l’univers fictionnel et le réel. Le motif du mille-pattes en forme de spirale, que l’on retrouve dans plusieurs décors de la pièce, laisse présager une situation qui n’a pas d’issue et qui s’achemine inexorablement vers un destin tragique. La linéarité de la narration est ainsi brisée par les allers-retours entre la pièce et la vie réelle, mais également par la répétition de mêmes scènes avec des actrices différentes. Ainsi, l’absence de l’actrice principale Miyuki n’a aucun impact sur le déroulement de la pièce, qui semble jouir d’une autonomie et d’un développement prédéfinis, indépendants de la volonté des acteurs. Cette sensation trouvera un écho dans les paroles de fin de Miyuki, qui demande au metteur en scène de faire en sorte que la pièce continue quoiqu’il advienne.
Over your dead body est un film maîtrisé qui témoigne du talent de Takashi Miike, bien loin de l’image de série B qui lui est accolée. Le réalisateur japonais, à la carrière déjà bien remplie, prouve qu’il n’a pas fini de nous étonner et qu’il peut tout faire : susciter une angoisse par des effets suggestifs comme nous surprendre par des effets gores réussis (et qui font sens métaphoriquement). Une belle découverte donc, qui fait pour l’instant partie des meilleures oeuvres de ce 20ème Festival de L’Etrange.
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Date de sortie : Inconnue (France), le 23 Août (Japon).
Réalisateur : Takashi Miike
Scénariste : Kikumi Yamagishi
Acteurs : Ebizo Ichikawa, Kou Shibasaki, Hideaki Ito, Hitomi Katayama, Miho Nakanishi…
Genre : Horreur
Pays d’origine: Japonais